Lorsque l’on parle d’accès aux soins, le débat se focalise souvent sur l’offre médicale : nombre de médecins, équipements hospitaliers, présence de spécialistes. Pourtant, un facteur bien plus concret contribue chaque jour à façonner l’expérience des patients : le temps nécessaire pour rejoindre un lieu de soins. En Auvergne-Rhône-Alpes, région vaste et géographiquement contrastée, ces temps de transport peuvent devenir un frein silencieux, mais bien réel, à la prise en charge médicale.
Avec près de 8 millions d’habitants répartis sur 12 départements, Auvergne-Rhône-Alpes alterne métropoles, zones périurbaines, campagnes, vallées isolées et massifs montagneux. Ce patchwork territorial se traduit par d’importantes variations des temps de trajet pour accéder à un médecin généraliste ou à un service d’urgences.
Entre accès ultra-rapide dans la métropole lyonnaise et trajets longs voire complexes dans les Hautes-Alpes ou le Livradois-Forez, l’inégalité des temps de transport ne se limite pas à l’opposition rural/urbain : elle épouse les nuances du relief, de la densité humaine et des dynamiques démographiques.
Si l’on discute souvent de “déserts médicaux” uniquement via le nombre de professionnels par habitant, plusieurs travaux montrent que le temps effectif de déplacement module fortement le recours aux soins.
Cet impact est encore plus net pour certaines populations : les personnes âgées, les ménages modestes (pour qui la voiture individuelle est en panne ou absente), les jeunes, et les personnes handicapées sont nettement plus affectés.
Le lien entre éloignement géographique et état de santé est confirmé par plusieurs études épidémiologiques (Fournier et al., Santé Publique 2017). Les conséquences ne se limitent pas à la simple gêne logistique :
Les chiffres du secteur Cancérologie sont parlants. Selon l’Institut national du cancer (INCa, 2023), plus de 15% des patients d’Auvergne-Rhône-Alpes ayant un diagnostic oncologique résident à plus de 45 minutes d’un centre spécialisé. Cela pèse sur la rapidité d’accès à la radiothérapie ou à certains protocoles : les délais de prise en charge initiale sont statistiquement plus longs dans les zones à forts temps de transport.
Outre la distance linéaire, d’autres paramètres complexifient la question des temps de transport :
Ces facteurs créent des zones “blanches” où l’accès aux soins devient une question d’organisation familiale, de solidarité entre voisins, voire d’intervention des associations locales.
Un hameau du massif du Vercors, desservi l’hiver seulement par une route d’accès sinueuse, a vu une femme enceinte contrainte de reporter deux échographies du deuxième trimestre, faute de pouvoir mobiliser l’unique taxi médical du secteur, immobilisé par la neige. Ce cas n’est pas isolé : dans les montagnes ardéchoises ou le plateau du Devès, les aléas climatiques rallongent parfois de plusieurs semaines l’accès à certains plateaux techniques, complexifiant le suivi des grossesses, la prise en charge des urgences, ou la planification d’interventions programmées.
Face à ce défi, la région Auvergne-Rhône-Alpes et de nombreux acteurs locaux déploient diverses solutions, avec plus ou moins de maturité.
Affiner les diagnostics territoriaux et intégrer systématiquement les temps de transport dans l’évaluation de l’accessibilité aux soins devient une exigence :
La réduction des inégalités liées au temps de transport va demander :
Enfin, les expériences pilotes de véhicules médicaux itinérants (diabétobus, mammo-bus…), bien implantées dans le nord Isère ou la Haute-Loire, ouvrent de vraies pistes pour rapprocher certains soins spécialisés des patients, à condition d’un cahier des charges exigeant et d’un suivi d’impact régulier.