Inégalités d’accès aux soins en Auvergne-Rhône-Alpes : l’empreinte de la distance

7 octobre 2025

La région Auvergne-Rhône-Alpes, deuxième région la plus vaste de France, se caractérise par une diversité territoriale remarquable, allant de métropoles attractives comme Lyon ou Grenoble à des territoires ruraux, montagneux et isolés. Ce contraste se reflète fortement dans l’accès aux soins : alors que certaines zones bénéficient d’un maillage sanitaire important, d’autres, souvent rurales ou enclavées, font face à de réelles difficultés à obtenir une prise en charge rapide et de qualité.

L’éloignement géographique désigne ici non seulement la distance physique à parcourir pour consulter un professionnel de santé, mais aussi tout ce que cette distance implique : temps de trajet, disponibilité de transports, perte de temps professionnel ou familial, et, parfois, renoncement pur et simple à se soigner. C’est un prisme majeur des inégalités de santé, avec des effets bien mesurés dans la littérature scientifique et les rapports institutionnels.

Selon l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes, 12 % de la population régionale réside en zone qualifiée de "sous-dense" pour la médecine générale (Atlas régional ARS-ORS 2022). Cette proportion grimpe à plus de 30 % dans certains départements ruraux auvergnats comme le Cantal ou la Haute-Loire. Le temps moyen d’accès à un médecin généraliste y dépasse 15 minutes, contre 7 minutes en moyenne régionale (DREES, 2023).

Les spécialistes de proximité (cardiologues, pédiatres, psychiatres) illustrent encore davantage l’inégale répartition :

  • Un habitant du Massif Central doit parfois parcourir plus d’1 h pour un rendez-vous en ophtalmologie, contre une dizaine de minutes à Lyon.
  • Les délais d’attente pour un rendez-vous oscillent entre 46 jours (moyenne régionale) et plus de 4 mois dans les zones montagneuses, notamment pour des disciplines rares (CNAM 2022).

Au niveau hospitalier, la carte des zones blanches d’urgence fait froid dans le dos : selon une enquête de l’Observatoire régional de la santé, près de 400 000 personnes dans la région résident à plus de 30 minutes des urgences hospitalières les plus proches. La nuit ou en hiver, certaines vallées auvergnates ou alpine voient ce temps d’accès doubler ou tripler.

L’impact de la distance ne se limite pas à la logistique. Plusieurs études montrent que plus on s’éloigne des centres de soins, plus les indicateurs de santé se dégradent :

  • Surmortalité évitable (+15% dans certains cantons ruraux, selon l’ORS AuRA 2022) liée à la cardiopathie ischémique, aux AVC ou au cancer du sein.
  • Dépistages et suivi des maladies chroniques moins réguliers (taux de mammographie inférieur de 7 points à la moyenne dans les Combrailles).
  • Surreprésentation du renoncement aux soins (près de 14% en zones rurales contre 8% en zone urbaine, Insee 2022).
  • Médecins généralistes et kinésithérapeutes en première ligne pour compenser par de multiples actes techniques, parfois hors de leur champ initial. (Source : Fédération des maisons de santé 2023)

La difficulté ne se limite pas à la première consultation : la rééducation après un AVC, les soins palliatifs, le suivi d’une grossesse compliquée, l’accès rapide à un plateau technique (scanner, IRM) dépendent fortement de la proximité géographique. Ce sont autant de freins silencieux à une égalité d’accès que l’on considère souvent comme acquise.

L’éloignement géographique et ses effets sont amplifiés par d’autres facteurs, qui s’entrecroisent et rendent la question encore plus aiguë :

  1. Mobilité : L'accès aux soins suppose de pouvoir se déplacer. Or, la région compte près de 12% de ménages sans voiture en zone rurale (Insee 2021). Les réseaux de transport en commun y sont limités, parfois inexistants. L’hiver, l’enneigement isole totalement certains villages alpins du Chablais ou du Vercors.
  2. Isolement social : Les personnes âgées, en perte d’autonomie, sont particulièrement touchées. Selon l’ARS, 32% des personnes âgées de plus de 75 ans vivant seules dans le Cantal déclarent y avoir reporté ou renoncé à des soins pour motif de distance ou d’absence de solution de transport adapté.
  3. Précarité : Coût du déplacement, absence de temps libre ou d’aidant, barrière linguistique pour les populations migrantes : l’éloignement amplifie les vulnérabilités sociales et financières.

Face à ces réalités, nombre d’acteurs locaux ont développé des réponses innovantes, souvent peu visibles à l’échelle nationale :

  • Transport solidaire – Dans la Loire ou la Haute-Loire, des associations comme ASTO43 mobilisent des bénévoles pour accompagner des personnes isolées chez le médecin ou à l’hôpital. En 2022, plus de 15 000 déplacements ont été réalisés dans ces départements.
  • Consultations avancées – Certains centres hospitaliers (Moulins, Privas, Thiers) délocalisent régulièrement leurs spécialistes vers les zones rurales, en articulation avec les maisons de santé locales.
  • Téléconsultation – En 2023, la région dénombrait 189 “cabines” ou bornes de téléconsultation, essentiellement déployées dans les maisons de santé rurales, les EHPAD ou des mairies. La télé-expertise médicale s’est particulièrement développée en cardiologie et dermatologie (Source : ARS AuRA 2023).
  • “Bus santé” – Des initiatives comme le Bus santé de la Mutualité Française sillonnent le Cantal, l’Allier et la Drôme pour assurer des campagnes de dépistage et de vaccination mobiles ; ils ont touché plus de 10 000 personnes l’an dernier.

Des témoignages issus du terrain font état également de la créativité des soignants : une infirmière de secteur isolé dans les Monts du Livradois témoigne ainsi du rôle de “pivot” humain entre les patients, les services hospitaliers distants et les aidants, inventant au quotidien des solutions pour limiter les ruptures dans le soin.

Les pouvoirs publics ont pris la mesure de ces difficultés, mais les réponses sont récentes, encore hétérogènes et sujettes à des contraintes fortes. L’un des chantiers prioritaires de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes porte sur l’amélioration du maillage territorial via :

  • L’incitation à l’installation de médecins en zones sous-denses (contrats “PTMG” – praticien territorial de médecine générale, aides à l’installation),
  • Le développement des maisons et centres de santé pluriprofessionnels : +38% en 5 ans dans la région, avec un total de 323 structures en 2023 (source : FFMPS 2023),
  • L’élargissement du recours à la télémédecine (objectif : 400 points de téléconsultation d’ici 2025).

Toutefois, certaines limites persistent : la faible attractivité résidentielle des zones rurales pour les jeunes médecins (70% des internes lyonnais refusent une mobilité de plus de 30 km, URPS 2022), le manque d’infrastructures numériques performantes dans certains secteurs et la difficulté à répondre à des enjeux d’urgence vitale au cœur de l’hiver.

L’expérience acquise lors de la crise COVID-19 a montré que des solutions hybrides pouvaient être performantes, combinant visites médicales itinérantes, télésanté et présence accrue des paramédicaux (infirmiers de pratique avancée, assistants médicaux). Il s’agit de changer de paradigme, en s’attachant moins à la distance “à vol d’oiseau” qu’à l’efficacité réelle du parcours-soin, c’est-à-dire :

  • La rapidité de réponse (accès direct à une ressource médicale par téléconsultation ou à une ligne d’urgence dédiée),
  • L’accompagnement personnalisé,
  • Le développement de relais locaux (pharmaciens, infirmiers, coordinateurs sanitaires) pour limiter la rupture géographique.

Par ailleurs, l’engagement des collectivités pour moderniser le transport à la demande, renforcer les infrastructures numériques et valoriser les métiers médicaux en zone rurale reste stratégique. L’expérience de départements alpins appuyant la formation de médecins originaires du secteur montre que l’ancrage territorial favorise indéniablement l’installation de jeunes praticiens.

L’éloignement géographique, facteur historique d’inégalité, n’est pas une fatalité. Il agit comme un révélateur des fragilités, mais aussi comme un catalyseur de solutions inédites qui pourraient inspirer d’autres territoires. Les initiatives citées ici, bien que locales, démontrent qu’il est possible de “rapprocher” les soins autrement, en mobilisant l’ensemble des acteurs sanitaires, sociaux et associatifs.

Faire reculer l’obstacle de la distance suppose aussi de sortir d’une logique purement curative : investir dans la prévention de proximité, détecter précocement les situations de vulnérabilité, accompagner les parcours de vie, soutenir les aidants… sont autant de leviers qui, mis en synergie, peuvent compenser les effets de l’éloignement. Le prochain enjeu pour la région Auvergne-Rhône-Alpes sera sans doute de structurer davantage ce « réseau de santé de proximité » au contact des réalités de vie, pour avancer vers une équité territoriale accrue.

Sources principales : DREES, ARS Auvergne-Rhône-Alpes, Observatoire régional de la santé, INSEE AuRA, Mutualité Française, FFMPS, CNAM, Fédération des maisons de santé, URPS Médecins Libéraux.

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