Comprendre les inégalités de santé territoriales en Auvergne-Rhône-Alpes : cartographie, enjeux et leviers d’action

3 octobre 2025

L’Auvergne-Rhône-Alpes, deuxième région la plus peuplée de France avec près de 8 millions d’habitants (source : INSEE, 2023), est souvent vantée pour son dynamisme économique, son attractivité et la qualité générale de vie qu’on lui prête. Pourtant, derrière ce tableau globalement positif, la réalité de la santé des habitants varie considérablement d’un territoire à l’autre. Ruralité, montagne, villes denses, zones périurbaines : la région illustre, parfois de façon aiguë, la fracture territoriale qui impacte l’accès aux soins, la prévention et la qualité de vie.

Mettre en lumière la géographie des inégalités de santé au niveau régional ne se résume pas à comparer Lyon à Aurillac ou Saint-Étienne à Annecy. Il s’agit d’explorer la superposition de facteurs économiques, sociaux, environnementaux et organisationnels. Quelles sont les grandes lignes de ces disparités ? Quelles en sont les causes et les conséquences ? Et comment avancer vers une meilleure équité en santé ?

Si l’espérance de vie à la naissance en Auvergne-Rhône-Alpes est globalement supérieure à la moyenne nationale (80,4 ans pour les hommes, 85,7 ans pour les femmes en 2021 – source : ORS ARA), cette moyenne régionale masque d’importantes disparités internes :

  • Différences Est-Ouest : les départements de l’Est (Haute-Savoie, Savoie, Isère, Ain) affichent une espérance de vie supérieure à la moyenne métropolitaine, pouvant atteindre plus de 86,5 ans pour les femmes en Haute-Savoie.
  • Surmortalité dans l’Ouest et le Sud de la région : l’Allier, la Haute-Loire, la Loire et l’Ardèche enregistrent des taux de mortalité prématurée (avant 65 ans) significativement supérieurs, notamment chez les hommes (+15 % par rapport à la moyenne régionale pour l’Allier – ORS ARA, 2021).
  • Taux de mortalité évitable élevés, en particulier dans certains quartiers urbains vulnérables comme ceux de Saint-Étienne, mais aussi dans des territoires ruraux et de montagne.

Ces écarts se retrouvent aussi dans les causes de mortalité : la région présente un gradient Est-Ouest pour les maladies cardiovasculaires et certains cancers (par exemple, le taux de décès par maladie respiratoire chronique est 1,7 fois plus élevé dans l’Allier que dans le Rhône – DREES, 2022).

Les écarts d’accessibilité géographique aux soins sont devenus un enjeu majeur en Auvergne-Rhône-Alpes, région où coexistent le cœur d’une métropole (Lyon) et de vastes territoires peu peuplés, difficiles d’accès ou vieillissants. Plusieurs dimensions sont à prendre en compte :

Densité médicale : le grand écart

  • Lyon intra-muros : plus de 400 médecins généralistes pour 100 000 habitants.
  • Sous-densités aiguës : la Lozère voisine (hors ARA), mais aussi la Haute-Loire et certaines parties du Cantal, du Puy-de-Dôme ou de l’Ardèche, où l’on compte moins de 90 médecins pour 100 000 habitants (CNOM, 2022).
  • Déserts médicaux locaux : à l’échelle d’un bassin de vie, l’absence de praticiens, de spécialistes ou de sages-femmes contraint à des trajets de plus de 45 min pour des soins de base (source : Observatoire régional des déserts médicaux, 2023).

Offre hospitalière : polarisation et fragilité

  • Une offre de pointe dans quelques pôles urbains : Lyon, Grenoble et Clermont-Ferrand concentrent les centres hospitaliers universitaires.
  • Hôpitaux de proximité fragilisés par un manque de personnels et des difficultés de recrutement, entraînant la fermeture périodique de services d’urgences à Brioude (Haute-Loire), Thiers (Puy-de-Dôme), ou Saint-Julien-en-Genevois (Haute-Savoie).
  • Accessibilité à la médecine spécialisée : dans certaines zones rurales, il faut parfois plus de trois mois d’attente pour un rendez-vous en ophtalmologie ou cardiologie (source : ARS ARA, 2022).

L’île de santé urbaine et la diagonale du vide sanitaire se dessinent très nettement sur le territoire, illustrant une séparation entre les potentiels de prise en charge rapide et l’expérience de l’isolement sanitaire.

Les disparités territoriales de santé ne s’expliquent pas uniquement par la géographie physique ou l’urbanisation. Elles s’appuient et s’entrecroisent avec des inégalités sociales marquées :

  • Des quartiers urbains cumulant précarité, pathologies chroniques et difficultés d’accès : la région compte 99 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), où, selon l’ORS, la part de la population en affection de longue durée (ALD) est 1,4 fois supérieure à la moyenne régionale.
  • Taux de renoncement aux soins élevé : selon l’IRDES (2022), près de 20 % des habitants à faibles revenus de la région déclarent avoir renoncé à une consultation ou un soin dans l’année écoulée, principalement pour des raisons financières ou de distance.
  • Population rurale vieillissante : trois départements (Cantal, Allier, Haute-Loire) présentent un taux de seniors (> 65 ans) supérieur à 25 %, aggravant la tension sur les soins gériatriques et sociaux.

Dans ces territoires, l’état de santé global s’éloigne de la moyenne régionale, avec davantage de maladies chroniques, de troubles de santé mentale non pris en charge et une consommation réduite de soins de prévention (dépistage du cancer du sein, vaccination, etc.).

Au-delà de l’offre médicale brute, plusieurs facteurs aggravent ou amortissent les inégalités de santé territoriales.

Mobilité et isolement

  • Absence de transports collectifs adaptés en zones peu denses mène à de vraies situations de “non-recours” aux soins.
  • Les “invisibles” de l’accessibilité : personnes âgées ou isolées, personnes sans moyens de transport, familles précaires et jeunes sans permis.

Exposition environnementale

  • Les vallées alpines et urbaines connaissent des pics de pollution atmosphérique réguliers. À Grenoble, l’incidence des maladies respiratoires chez l’enfant est supérieure de 14 % à la moyenne régionale (Santé publique France, 2020).
  • Surmortalité liée à l’exposition aux pesticides dans certaines vallées agricoles (notamment dans la Drôme et l’Isère : études Inserm, 2019).

Organisation territoriale des soins

  • Lente adaptation des structures à la désertification médicale : maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) en augmentation (245 en 2022 contre 68 en 2015), mais couverture inégale (source : ARS ARA).
  • Insuffisance du lien entre ville et hôpital, notamment dans le suivi des maladies chroniques et la prise en charge rapide des urgences.

La compréhension de ces inégalités passe par la mobilisation de plusieurs angles d’analyse :

  • Analyse géographique : distances, topographie, densité de population.
  • Lecture sociale : composition socioprofessionnelle, précarité persistante, chômage localisé.
  • Logiques d’organisation des soins : offre, coopération des acteurs, innovation organisationnelle.
  • Approche cumulative : dans nombre de territoires, les handicaps s’additionnent. Par exemple, dans le Cantal, le risque combiné “vieux, isolé, pauvre, loin du médecin” augmente la mortalité évitable.

L’accès à la santé ne se joue pas uniquement sur le nombre de professionnels, mais sur l’irrigation de tout un écosystème : présence de réseaux, adéquation des soins avec les besoins locaux, capacité à aller vers les publics éloignés.

Si le diagnostic des inégalités reste imparfait, de nombreuses initiatives naissent chaque année, portées par des professionnels, des collectivités et des associations, conjuguant approche pragmatique et solidarité territoriale :

  • Développement de la télémédecine : la région est aujourd’hui la troisième de France par le nombre d’actes de téléconsultation (Sécurité sociale, 2023), avec des projets pilotes à Issoire (Puy-de-Dôme) ou dans le Pilat (Loire) visant à compenser la raréfaction des spécialistes.
  • Bus santé itinérants : consultation mobile, dépistage et vaccination, permettant d’aller vers les plus isolés (exemple : bus santé de la Mutualité française Auvergne-Rhône-Alpes – 4400 consultations réalisées en 2022).
  • MSP et CPTS : équipements collectifs, structuration en communautés professionnelles territoriales de santé, invitant à une gestion plus souple et décloisonnée des soins.
  • Plateformes d'observation sanitaire : l’ORS ARA publie des cartographies numériques précises, favorisant l’adaptation locale des politiques publiques.

Les disparités territoriales de santé en Auvergne-Rhône-Alpes ne représentent ni une fatalité géographique, ni une simple question médicale. Elles résultent d’une accumulation de facteurs économiques, sociaux et organisationnels, qui requièrent une réponse multifacette : soutien aux professionnels, innovation organisationnelle, politiques d’accès, actions sur les déterminants sociaux et environnementaux.

Nombre d’acteurs de terrain l’ont compris : la question de la santé dans les territoires vulnérables dépasse la stricte “distribution” de soins. Elle interroge la capacité du système à inventer, à se rapprocher, à co-construire autour des habitants, pour rééquilibrer la balance. Le recueil, l’analyse et la publication régulière de données spécifiques à l’Auvergne-Rhône-Alpes s’avèrent, à ce titre, essentiels pour guider les politiques, nourrir les initiatives et mesurer le chemin parcouru.

Approfondir la réduction de ces écarts, c’est aussi investir dans l’éducation, la mobilité, l’environnement et tisser partout où c’est possible des réseaux d’information et de confiance. Une ambition exigeante, mais essentielle, pour une région qui ne manque ni d’idées, ni d’engagements, ni de territoires à relier.

  • Sources principales utilisées : ORS Auvergne-Rhône-Alpes, INSEE, ARS ARA, DREES, IRDES, Santé Publique France, Sécurité sociale, Inserm, CNOM.

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