Auvergne-Rhône-Alpes : regards croisés sur les inégalités de santé entre rural et urbain

25 octobre 2025

L’Auvergne-Rhône-Alpes, vaste et contrastée, conjugue grandes agglomérations – telles que Lyon, Grenoble ou Clermont-Ferrand – et territoires ruraux isolés comme le Cantal, la Haute-Loire ou une partie de la Drôme. Cette diversité géographique produit des inégalités de santé marquées, révélatrices de dynamiques territoriales profondes. Approcher la question des inégalités entre rural et urbain implique d’articuler données épidémiologiques, réalités vécues et initiatives locales spécifiques.

Avec ses plus de 8 millions d’habitants, Auvergne-Rhône-Alpes est la deuxième région la plus peuplée de France (source : INSEE, Bilan démographique 2022). Pourtant, le maillage démographique oppose deux mondes :

  • 64% des habitants résident dans une aire urbaine.
  • Un quart de la population vit dans un territoire qualifié de rural selon la typologie Insee.

Les profils diffèrent sensiblement :

  • L’urbanisation concentre personnes en activité, jeunes actifs, populations plus diplômées et dotées d’un meilleur accès aux services publics.
  • Les zones rurales se caractérisent par un vieillissement accru de la population (plus de 28% de plus de 60 ans dans le Cantal contre 21% à l’échelle régionale), un taux de précarité sensiblement supérieur, mais aussi un attachement fort au territoire.

Même si Auvergne-Rhône-Alpes affiche une espérance de vie supérieure à la moyenne nationale (83,4 ans contre 82,2 ans pour la France selon l’INSEE 2022), ces moyennes masquent d’importantes disparités :

  • Dans les grandes villes, des inégalités internes apparaissent, avec parfois un écart jusqu’à 8 ans d’espérance de vie entre quartiers favorisés et quartiers populaires (source : ORS ARA, 2022).
  • Dans le rural, l’espérance de vie est globalement stable, mais la morbidité liée aux maladies chroniques, à la sédentarité et à l’isolement social reste élevée, influençant la qualité de vie après 65 ans.

Un exemple dans le département de l’Allier montre que le taux de recours aux soins cardiologiques y est inférieur de 25% à la moyenne régionale, alors même que la mortalité cardiovasculaire y est supérieure de 20% (source : ARS ARA, Profil santé Allier 2021).

La question de l’accessibilité aux soins illustre le clivage entre rural et urbain :

  • En milieu rural :
    • Plus de 30% des communes de la région sont en situation de “désertification médicale” (moins de 2 médecins généralistes pour 10 000 habitants selon le Conseil National de l’Ordre des Médecins, Atlas 2022).
    • Accès difficile aux spécialistes : par exemple, en Haute-Loire, le délai d’obtention d’un rendez-vous chez un rhumatologue dépasse souvent 12 mois. L’éloignement géographique complexifie le suivi régulier des pathologies chroniques.
    • La mobilité devient un facteur aggravant : 1/3 des personnes âgées en zone rurale n’ont pas de solution de transport adaptée pour se rendre à leur consultation (source : Observatoire régional Mobilités & Santé, 2021).
  • En milieu urbain :
    • La concentration de professionnels de santé ne signifie pas toujours une accessibilité réelle, du fait de la densité de la population et du prix du foncier en centre-ville qui déplace les cabinets en périphérie.
    • Les quartiers populaires des grandes villes (Vaulx-en-Velin, Chambéry-Le-Haut, etc.) cumulant précarité sociale, barrière linguistique et absence de permanence médicale sont surexposés aux renoncements aux soins : 20% de la population concernée selon la CPAM du Rhône.

Focus : l’offre hospitalière

Le schéma hospitalier régional, marqué par la fusion d’établissements et la rationalisation des plateaux techniques, concentre l’expertise dans les CHU (Lyon, Grenoble, Clermont-Ferrand), rendant l’offre de proximité parfois précaire en zones rurales. Entre 2000 et 2020, plus de 25 maternités ont fermé dans les zones intermédiaires et rurales (DREES, 2022), générant un surcroît de déplacements pour les familles, notamment en Ardèche et dans l’Allier.

Ce sont principalement les déterminants sociaux de la santé qui amplifient les écarts :

  • Les territoires urbains concentrent les poches de pauvreté, les situations de mal-logement et une part importante de travailleurs précaires – 15% de la population active du Grand Lyon vit sous le seuil de pauvreté (Observatoire des inégalités sociales, 2023).
  • Les zones rurales, aux revenus moyens souvent plus faibles, font face à une fragilisation du lien social, une sous-représentation des services publics et une solitude marquée des personnes âgées (le taux de perte d’autonomie sévère chez les 75 ans et plus est de 15% en Haute-Loire vs. 10% à Lyon).

Le taux de suicide, révélateur du mal-être social, est 1,4 fois plus élevé dans les campagnes de l’Allier, du Cantal et de la Haute-Loire que dans les grandes villes régionales (source : Santé Publique France, Baromètre 2022).

La structuration des actions de prévention varie :

  • En milieu urbain : Déploiement de grandes campagnes institutionnelles en lien avec les collectivités, présence de maisons de santé pluridisciplinaires et d’associations engagées (ADSEA pour l’accès aux droits, Points Santé Jeunes, etc.).
  • En milieu rural : Initiatives souvent portées par les élus locaux, les communautés de communes et les professionnels eux-mêmes. Les MSP (Maisons de Santé Pluriprofessionnelles) y jouent un rôle déterminant : en 2023, 147 MSP étaient implantées en zone rurale (Fédération régionale des MSP, 2023). Les “bus santé” tels que le dispositif Santé Mobile dans la Drôme facilitent l’accès au dépistage près du domicile. Exemples d’actions innovantes :
    • Les “cafés santé” dans le Puy-de-Dôme pour lutter contre l’isolement des seniors.
    • L’expérimentation de la télémédecine dans les montagnes ardéchoises pour le suivi des maladies chroniques, réduisant le non-recours lié à la distance.

La santé mentale illustre la complémentarité et les limitations de chaque modèle territorial :

  • En urbain : sur-sollicitation des services, difficultés d’accès rapide à un psychologue conventionné ou à un CMP.
  • En rural : stigmatisation persistante des troubles psychiques, absence de structures spécialisées à proximité (en 2023, 47% des communes rurales n’ont pas de professionnel de santé mentale, source : ARS ARA).

Des dispositifs tels que “Les Maisons des Adolescents itinérantes”, ou le réseau associatif des GEM (Groupes d’entraide Mutuelle), œuvrent au rapprochement de l’offre.

Les profils pathologiques divergent selon la zone :

  • Rural :
    • Prévalence élevée des maladies cardio-vasculaires et respiratoires, souvent liées à des expositions environnementales (agriculture, chauffage au bois).
    • Retard diagnostique de certains cancers, par défaut de dépistage organisé.
    • Polypathologies chez les personnes âgées, complexifiant la prise en charge.
  • Urbain :
    • Surmortalité liée aux cancers associés à la précarité (poumon, oropharynx).
    • Poids des maladies métaboliques et addictives dans les quartiers populaires.
    • Surreprésentation de l’asthme infantile en lien avec la pollution urbaine : à Lyon, 15% des enfants de moins de 12 ans sont concernés, soit +5 points de prévalence par rapport à la moyenne nationale (source : ORS ARA 2021).

Au-delà des constats, certaines dynamiques spécifiques à Auvergne-Rhône-Alpes méritent d’être soulignées :

  • L’appui croissant aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), visant à coordonner la prise en charge sur un bassin de vie, rural ou urbain.
  • La mobilisation d’outils numériques (plateformes de prise de rendez-vous, e-santé, télésuivi), avec cependant la nécessité d’accompagner la transition pour éviter de creuser la fracture numérique, notamment chez les aînés ruraux.
  • L’expérimentation d’“hôpitaux de proximité” et de services mobiles, pour renouveler l’offre dans les zones sous-dotées.
  • L’implication d’usagers-patients-experts au sein des conseils locaux de santé.

Le succès de ces actions dépend de la capacité d’adaptation aux particularités de chaque territoire, du soutien aux professionnels, et de la reconnaissance du rôle des acteurs associatifs de terrain.

L’Auvergne-Rhône-Alpes illustre combien la lutte contre les inégalités de santé ne saurait se réduire à une simple opposition rural-urbain. Si chaque espace présente ses vulnérabilités propres (isolement et accès territorial vs. précarité sociale et densité en urbain), la clé réside dans la concertation des acteurs et l’innovation locale. Les solutions les plus efficientes émergent souvent du dialogue permanent entre professionnels de santé, institutions, élus et société civile.

Au fil des évolutions démographiques, des mutations économiques ou de l’évolution de l’offre médicale, seule une approche décloisonnée – s’inspirant des forces de chaque type de territoire – permettra de bâtir les outils d’une santé réellement équitable pour tous les habitants de la région.

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