Auvergne-Rhône-Alpes : Qui sont les plus vulnérables face aux inégalités sociales de santé ?

29 septembre 2025

Les inégalités sociales de santé désignent les écarts observés dans l’état de santé selon le statut socio-économique, l’origine géographique ou sociale, l’âge, et d’autres déterminants (cf. OMS, Inserm). La région Auvergne-Rhône-Alpes, bien qu’elle affiche dans son ensemble des indicateurs favorables comparés à d’autres grandes régions françaises, présente un visage contrasté lorsque l’on examine de près certaines populations ou territoires.

La diversité géographique (massifs montagneux, plaines, zones urbaines ou rurales), la composition démographique et les inégalités socio-économiques structurent profondément l’état de santé des habitants. Les écarts sont ainsi loin de se résumer à une opposition entre ville et campagne : ils recoupent des réalités complexes mêlant précarité, isolement, difficultés d’accès aux soins et discriminations.

En Auvergne-Rhône-Alpes, plus de 8 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, mais le taux grimpe à 21 % dans certaines zones de la périphérie lyonnaise ou de la Drôme (Source : Insee, Drees). De nombreux indicateurs permettent de dresser la cartographie de ces inégalités :

  • Espérance de vie : jusqu’à 5 ans d’écart entre quartiers favorisés et défavorisés de la métropole de Lyon (Observatoire régional de santé, 2022).
  • Taux de renoncement aux soins : 18 % chez les personnes vivant sous le seuil de pauvreté, contre 6 % dans la population générale (ARS, 2021).
  • Taux de mortalité prématurée : 1,6 fois plus élevé dans les quartiers prioritaires (Drees, 2023).

Derrière ces chiffres, ce sont des réalités singulières : des enfants, des actifs, des personnes âgées vulnérables ou isolées. Qui sont ces populations plus exposées au cumul des difficultés sanitaires ?

Les inégalités de santé se construisent dès l’enfance. En Auvergne-Rhône-Alpes, 15 % des enfants vivent dans une famille pauvre, un chiffre proche de la moyenne nationale mais qui masque des disparités : on compte deux fois plus d’enfants pauvres dans la Loire ou l’Allier que dans la Haute-Savoie. Les conditions de vie influent directement sur la santé dès le plus jeune âge :

  • Dépistage des troubles de l’apprentissage : 25 % des enfants suivis par la PMI concernent des situations de précarité (Conseil régional, 2023).
  • Obésité infantile : prévalence deux fois plus élevée dans les quartiers prioritaires, selon les programmes de dépistage menés à Grenoble et Saint-Etienne.
  • Retards de soins dentaires et ophtalmologiques touchant en particulier les familles monoparentales ou migrantes (CPAM Rhône, 2022).

Les dispositifs d’accès aux soins (PASS, PMI ou réseaux associatifs) jouent un rôle majeur, mais peinent à couvrir tous les besoins, notamment dans les zones rurales dispersées.

La région est l’une des plus vieillissantes de France, avec plus de 1,3 million de personnes de plus de 65 ans. Mais la longévité s’accompagne d’importantes inégalités :

  • Espérance de vie sans incapacité : 62,1 ans pour les femmes dans les zones urbaines favorisées contre 58,8 ans dans les zones rurales défavorisées (ORS Auvergne-Rhône-Alpes, 2022).
  • Prévalence de la perte d’autonomie : supérieure de 20 % dans les territoires ruraux, due au manque de structures et au retard de recours à l’aide médicale.
  • Isolement social : dans l’Ain, la Haute-Loire ou le Cantal, 1 personne âgée sur 3 déclare n’avoir aucun contact régulier hors cercle familial proche (Métropole de Lyon/INSEE 2021).

La précarité énergétique, l’habitat indigne, et le manque de mobilité amplifient ces disparités, en particulier dans les zones de montagne (Ardèche, Savoie, Cantal).

Si l’Auvergne-Rhône-Alpes bénéficie d’un bassin d’emploi dynamique, la précarité professionnelle reste forte : intérimaires, saisonniers, agents d’entretien, travailleurs agricoles ou du BTP sont parmi les plus exposés. Les effets sur la santé sont multiples :

  • Accidents du travail et troubles musculo-squelettiques : surreprésentés dans la logistique, le bâtiment, l’agroalimentaire (Carsat, 2022).
  • Accès irrégulier à la médecine du travail, suivi insuffisant dans les filières multi-employeurs.
  • Risque accru de dépression, d’addictions et de renoncement aux soins : plus d’un tiers des demandeurs d’emploi déclare avoir reporté ou renoncé à des soins pour raisons financières (Inspection régionale, 2021).

La précarité de logement, l’impossibilité de trouver un médecin traitant (7 % de la population sans médecin référent dans certaines communes rurales), aggravent la situation.

Entre 2015 et 2020, la région a accueilli plus de 20 000 nouveaux migrants statutaires, dont une majorité dans les métropoles (Lyon, Grenoble, Saint-Etienne), mais aussi dans des accueils d’urgence ruraux (Puy-de-Dôme, Drôme).

  • Couverture maladie : près de 18 % des adultes primo-arrivants ne disposent pas d’une couverture complète à l’arrivée, ce taux pouvant atteindre 38 % pour les sans-papiers (Médiateur santé, 2021).
  • Diagnostic tardif des pathologies chroniques (diabète, hypertension, VIH) : 1 diagnostic sur 5 mené lors d’une prise en charge d’urgence (Cèdre bleu, 2023).
  • Barrières linguistiques et administratives : difficulté d’accès au parcours de soins, suivi materno-infantile souvent tardif.

Les associations jouent un rôle essentiel, mais les inégalités d’accès persistent, notamment à la jonction entre structures d’urgence et médecine de ville.

Avec plus de 310 000 personnes en situation de handicap recensées (MdPH, 2022), la région Auvergne-Rhône-Alpes connaît une forte disparité concernant :

  • L’accès aux spécialistes : pénurie d’ophtalmologistes, dentistes et psychiatres dans l’Allier, la Haute-Loire ou l’Ardèche.
  • Délais de prise en charge : jusqu’à 18 mois pour un rendez-vous en structure pluridisciplinaire à Lyon.
  • Handicap et précarité : taux de pauvreté deux fois plus élevé chez les personnes en situation de handicap, en particulier pour les bénéficiaires de l’AAH.

L’instauration récente de maisons départementales mutualisées et de dispositifs "Handigynéco" dans certains départements (Puy-de-Dôme, Rhône) offre des avancées, mais les besoins restent largement supérieurs à l’offre.

Ces catégories ne s’excluent pas : l’effet cumulatif agit comme un amplificateur. Une femme immigrée, âgée et vivant seule dans une zone rurale, présentera un risque de renoncement aux soins bien supérieur à la somme des risques de chaque groupe pris séparément.

Les analyses territoriales confirment que :

  • Les quartiers prioritaires des grandes agglomérations (Vaulx-en-Velin, Vénissieux, La Duchère à Lyon, La Villeneuve à Grenoble, Mistral à Valence) concentrent les difficultés sociales, sanitaires et environnementales.
  • Les "déserts médicaux", touchant massivement l’Allier, le Puy-de-Dôme, la Haute-Loire ou la Creuse, ajoutent une barrière d’accès à des populations déjà fragilisées.
  • La double compétence linguistique et socio-sanitaire demeure clé pour améliorer la situation des migrants, personnes âgées isolées ou avec troubles psychiques associés.

Face à ce constat, la région voit émerger une variété d’initiatives concrètes :

  • Les Centres de Santé municipaux (Lyon, Villeurbanne, Saint-Etienne) proposent des consultations gratuites ou à faibles coûts, avec un suivi global (médical, social, psychologique).
  • Les bus de santé mobiles sillonnant l’Ardèche, l’Allier ou la Drôme, vers les villages isolés (Projet santé itinérante de la Croix Rouge).
  • Dispositifs "aller-vers" : équipes mobiles dépistage cancer, addictions, santé mentale, par exemple dans les collèges ruraux de Saône-et-Loire ou de la Savoie.
  • La Plateforme régionale de lutte contre le renoncement aux soins : coordination entre ARS, CPAM, associations pour repérer et relancer les personnes vulnérables.
  • La Maison de santé pluriprofessionnelle de Firminy : lieu innovant qui agglomère soins, médiation sociale, ateliers santé et accompagnement administratif.

Mais ces dispositifs restent trop souvent à l’état d’expériences-pilotes, avec des difficultés de pérennisation et de généralisation à l’ensemble du territoire régional.

L’ampleur et la diversité des inégalités de santé en Auvergne-Rhône-Alpes interpellent, mais la multiplication d’initiatives, l’attachement à l’innovation sociale et l’engagement local ouvrent de nouvelles perspectives. La réduction des inégalités impose une action conjointe : analyse fine des besoins, refonte des parcours territorialisés, renforcement de la prévention, et surtout, implication des publics concernés dans les réponses.

La région, laboratoire d’innovations en santé et en solidarité, peut être un terrain d’expérimentation pour des politiques de réduction des écarts, si l’on parvient à articulariser dispositifs locaux, coordination régionale et appui renforcé à la participation citoyenne.

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