La région Auvergne-Rhône-Alpes (AURA), forte de ses reliefs, est l'une des plus montagneuses de France : plus de 40% de sa superficie est composée de zones de montagne (source : INSEE, 2021). Qu’il s’agisse du Massif central ou des Alpes, ces territoires partagent des caractéristiques géographiques, démographiques et socio-économiques qui influencent directement l’accès à la santé de leurs habitants.
Les écarts d’espérance de vie, de mortalité prématurée et d’accès aux soins constatés en montagne soulignent des inégalités marquées par rapport aux vallées et aux pôles urbains de la région. Mais à quoi tiennent-elles ? Plutôt que de dresser un portrait figé des montagnes « défavorisées », il s’agit ici de mettre en lumière la diversité des obstacles rencontrés, tout comme les solutions inventées localement pour les surmonter.
L’un des premiers facteurs d’inégalité réside dans la distance : en 2020, selon l’Observatoire Régional de Santé (ORS) AURA, les habitants des territoires de montagne se situent en moyenne à 44 minutes d’un service d’urgence, contre 17 minutes en zone urbaine. Par ailleurs, dans plusieurs communautés de communes du Massif du Vercors et du Haut-Giffre, il n’existe plus de maternité à moins de 50 kilomètres. Cette problématique va bien au-delà des urgences : laboratoires, cabinets spécialisés ou lieux de dépistage se font rares et difficiles d’accès, notamment en période hivernale.
L’espoir placé dans la télémédecine vient buter sur une réalite : couverture internet inégale, zones blanches, équipements informatiques insuffisants. Selon l’INSEE, en 2021, 14% des foyers en zones de montagne en AURA déclarent ne pas avoir accès à Internet, contre 4% en agglomération. Cela freine l’accès à la santé en ligne (rendez-vous, suivi de dossier, e-prescription) et aux droits liés à la santé sociale.
S’y ajoutent la méconnaissance ou la difficulté à mobiliser les dispositifs d’aide : en 2022, moins de 50% des ayants droit à la Complémentaire Santé Solidaire (CSS, ex-CMU) résidant en montagne l’avaient activée (source : Caisse Nationale d’Assurance Maladie).
Le recul du nombre de professionnels de santé est encore plus sensible en altitude. Selon l’ARS AURA, entre 2015 et 2022, la région a perdu 9% de ses médecins généralistes, mais ce chiffre atteint jusqu’à -19% dans certains territoires ruraux de montagne (vallée de l’Allier, Hautes Combes, Bauges…).
En Savoie et en Haute-Loire, plus de 45% des généralistes ont plus de 60 ans (Source : URPS Médecins AURA, 2023). Leur départ à la retraite entraîne la disparition de cabinets historiques. Malgré le dynamisme de certaines maisons de santé pluridisciplinaires, l’attractivité de ces postes reste limitée par l’isolement, la charge de travail et la difficulté à concilier vie professionnelle et vie personnelle en milieu montagnard.
L’absence de médecins pèse sur toutes les filières : soins primaires, prévention, accès à la contraception et à la santé mentale, suivi des pathologies chroniques… et conduit parfois à une « non-recours » aux soins ou à la multiplication des déplacements coûteux.
Les disparités sociales accentuent le cumul des facteurs de risque. Les zones de montagne d’Auvergne-Rhône-Alpes ne sont pas épargnées par la pauvreté ou la précarité : selon l’INSEE, le taux de pauvreté peut dépasser 18% dans certaines vallées du Cantal, de la Haute-Loire et du nord Isère, soit près du double de la moyenne régionale (9,1%).
Les effets sur la santé sont multiples : retard ou renoncement aux soins, alimentation déséquilibrée (difficulté d’accès à une offre diversifiée), surmortalité liée à certaines pathologies (maladies cardiovasculaires, accidents de la route).
L’ORS AURA relève que les habitants des montagnes sont près de deux fois plus nombreux à déclarer avoir renoncé à des soins l’an dernier par rapport au reste des habitants de la région. Les motifs évoqués sont à la fois matériels (coût, distance, indisponibilité de praticiens) et psychologiques : la crainte de déranger ou d’être jugé (“je n’ai pas envie de faire déplacer le médecin pour moi”, témoignage recueilli par l’ORS Isère, 2021), sentiment d’invisibilité et perte de confiance dans le système.
Selon une enquête de la Mutualité Française (2022), la prévalence des troubles psychiques (dépression, isolement, addictions) augmente proportionnellement avec l’éloignement des bassins de vie, aggravant le cercle vicieux du non-recours aux soins.
Pourtant, loin d’être condamnés à la fatalité, les territoires de montagne fourmillent d’initiatives, souvent discrètes mais efficaces.
Au-delà des soins, les réseaux de solidarité portés par les mairies, CCAS et associations de proximité (ex : réseau "Solidarité Tournée" en Haute-Loire) facilitent l’accès aux droits, l’accompagnement social et la prévention des situations critiques.
L’évolution du climat, la fluctuation démographique liée au tourisme, et l’allongement de la vie rendent le défi des inégalités territoriales de santé en montagne plus complexe. Si les expériences positives offrent des pistes, leur pérennité dépend d’une coordination renforcée : accompagnement à l’installation, reconnaissance du travail en équipe, innovations dans les transports adaptés, transformation numérique résiliente…
Le débat sur la “justice territoriale” en santé ne se résume pas à la lutte contre la désertification médicale : il implique une vision globale de l’accès au bien-être, à la prévention et à la participation des habitants aux choix qui les concernent. Les montagnes d’Auvergne-Rhône-Alpes, par leur diversité et leur créativité, donnent à voir à la fois l’acuité du problème… et la force des solutions locales.
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