Densité médicale et inégalités de santé en Auvergne-Rhône-Alpes : enjeux, constats et pistes d’action

15 octobre 2025

La densité médicale correspond au nombre de médecins rapporté à la population, généralement exprimée pour 100 000 habitants. Cet indicateur, couramment utilisé pour analyser l’égalité d’accès aux soins, permet de cartographier la répartition des praticiens sur un territoire donné. Mais au-delà du simple chiffre, la densité médicale renvoie à une pluralité de réalités : elle reflète les dynamiques démographiques, les choix d’installation, l’attractivité territoriale, et les logiques de politiques publiques en matière d’offre de soins.

La région Auvergne-Rhône-Alpes (ARA), deuxième de France en nombre d’habitants après l’Île-de-France (plus de 8 millions selon INSEE 2024), se distingue par une extrême diversité de ses territoires. Mégalopoles urbaines, périphéries industrielles, vallées alpines et vastes espaces ruraux coexistent, dessinant une mosaïque géographique qui rend la question de la densité médicale particulièrement complexe.

Selon les données du Conseil National de l’Ordre des Médecins (Atlas démographique 2023), la densité moyenne de médecins généralistes en Auvergne-Rhône-Alpes s’élève à 135,7 pour 100 000 habitants. Ce chiffre recouvre, en réalité, de fortes disparités internes :

  • Lyon Métropole : environ 175 médecins généralistes pour 100 000 habitants.
  • Puy-de-Dôme : 155 médecins pour 100 000 habitants.
  • Ardèche ou Cantal : parfois moins de 80 médecins pour 100 000 habitants.

Ces écarts sont encore plus marqués si l’on considère les spécialistes ou la médecine de proximité hors grandes agglomérations. À titre de comparaison, la densité nationale est autour de 152,8 pour 100 000 habitants. Ainsi, certains territoires d’ARA, en particulier le rural montagneux, se situent nettement en dessous de la moyenne nationale.

Plusieurs facteurs expliquent la répartition très hétérogène des professionnels de santé dans la région :

  • Attractivité démographique et économique : Les bassins de vie dynamiques attirent davantage de médecins.
  • Moyens de transport et accessibilité : Le relief alpin ou la dispersion de l’habitat en zones rurales compliquent l’installation et la pratique médicale.
  • Vieillissement des professionnels : La part de médecins de plus de 60 ans dépasse 40 % dans certains départements comme la Haute-Loire ou l’Allier, accentuant les risques de désertification.
  • Décalage entre formation et installation : Les internes préfèrent majoritairement s’installer autour des grands centres hospitaliers universitaires (CHU de Lyon, Grenoble, Clermont-Ferrand).

Un élément marquant : en 2023, 39 communes d’Auvergne-Rhône-Alpes ne comptaient aucun médecin généraliste (source : Observatoire régional de la santé ARA).

Les inégalités d’accès aux médecins ne sont pas qu’un enjeu statistique. Elles ont de réels effets sanitaires et sociaux :

  • Difficultés à obtenir un rendez-vous : Dans certaines zones, le délai moyen pour obtenir un rendez-vous chez un généraliste dépasse trois semaines. Pour un spécialiste, il peut atteindre neuf mois dans le Cantal ou la Haute-Loire (en ophtalmologie, cardiologie ou dermatologie selon l’ARS ARA 2023).
  • Renoncement aux soins : Selon l’enquête Baromètre Santé (Santé Publique France 2021), plus de 18 % des habitants des zones sous-denses d’ARA déclarent avoir renoncé à des soins pour des raisons de distance ou de délai, contre 10,5 % en agglomération lyonnaise.
  • Diminution de la prévention : La fréquence des dépistages cancers (sein, colorectal) est significativement plus faible dans les territoires ruraux d’ARA, exacerbant les inégalités d’espérance de vie (source : INCa, registres régionaux de dépistage, rapport 2022).
  • Augmentation des hospitalisations évitables : Une étude menée par l’IRDES en 2020 montre que les territoires à faible densité médicale présentent un sur-risque d’hospitalisation pour pathologies chroniques pourtant prises en charge en ville ailleurs, comme le diabète ou l’insuffisance cardiaque.

Le terme de « désert médical » s’est imposé pour désigner les zones où la population rencontre des difficultés majeures à accéder à un médecin traitant.

  • En Auvergne-Rhône-Alpes, l’Observatoire régional de la santé estime en 2023 que plus de 1,2 million d’habitants vivent dans une commune considérée comme sous-dense.
  • Cette part s’élève à plus de 35 % dans la Creuse, le Cantal, la Haute-Loire, voire certaines vallées de Savoie (source : Drees, Atlas des inégalités 2023).
  • La problématique touche autant les patients âgés – qui cumulent difficulté de déplacement et besoins de soins accrus – que les familles, pour lesquelles l’absence de pédiatre ou de gynécologue a de lourds impacts sur la santé reproductive.

Face à cette crise, les territoires se mobilisent. Quelques exemples illustratifs montrent comment la région tente de transformer la contrainte en terrain d’innovation :

  • Pôles et maisons de santé pluriprofessionnelles : Plus de 310 maisons de santé sont recensées en 2024 dans la région, soit +70 % en dix ans (source : Fédération nationale des Maisons de Santé). Elles favorisent l’installation en équipe et permettent une organisation plus souple des soins.
  • Dispositifs d’incitation à l’installation : Plusieurs départements (notamment l’Ardèche et la Haute-Loire) proposent des bourses, des exonérations fiscales ou un accompagnement logistique pour attirer de jeunes praticiens. Toutefois, l’efficacité à long terme de ces dispositifs reste à évaluer.
  • Téléconsultation et télémédecine : Le recours à la téléconsultation a été multiplié par 15 entre 2019 et 2022 dans les zones rurales d’ARA selon l’Assurance Maladie. Si elle pallie partiellement l’absence de professionnels, elle ne constitue pas, à ce stade, une réponse universelle (problèmes d’équipement, fracture numérique, besoin d’examen physique).

Plusieurs politiques nationales et régionales s’articulent pour tenter de rééquilibrer la répartition médicale :

  • Contrats d’engagement de service public : L’augmentation du nombre de places en médecine générale à l’Université Lyon 1 ou à Grenoble vise à renforcer la présence de jeunes médecins sur l’ensemble du territoire.
  • Pacte territoire-santé : Ce plan, lancé en 2012 et régulièrement ajusté, structure la création de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et vise à mutualiser mieux les ressources humaines et les outils de prise en charge.
  • Mobilisation de la société civile : Associations de patients, collectivités locales et même chambres consulaires jouent un rôle important pour soutenir des projets innovants ou attirer des médecins, parfois en y associant projets de vie ou d’accueil global (logement, emploi du conjoint, crèche).

Malgré l’effort, le recouvrement des départs à la retraite par les arrivées de jeunes praticiens ne suffit pas à compenser le creux démographique, notamment dans les départements du Massif central et des Alpes du Nord.

Si la densité médicale demeure un marqueur déterminant des inégalités d’accès aux soins, la solution n’est sans doute pas uniquement quantitative. La tendance actuelle va vers une transformation qualitative de la pratique :

  • Développement du travail interprofessionnel et partenariats avec le secteur social et médico-social.
  • Patient acteur : implication des usagers dans les projets de santé territoriaux.
  • Numérisation des parcours de soin pour faciliter la coordination à distance.

Le défi n’est donc pas seulement d’attirer plus de médecins, mais aussi de repenser leur rôle et leur lien avec la communauté locale, notamment en orientant la formation vers la médecine rurale et l’organisation du temps médical.

L’exemple d’Auvergne-Rhône-Alpes montre bien que la densité médicale reste un déterminant structurant des inégalités territoriales de santé, mais qu’elle interagit avec de nombreux autres facteurs, notamment sociaux, économiques et numériques. Les solutions sont, à l’image du territoire, plurielles :

  • Renforcer l’attractivité des zones rurales, non seulement sur le plan professionnel mais aussi en créant des conditions de vie attractives.
  • Soutenir et évaluer les innovations (maisons de santé, télémédecine) dans une logique d’amélioration continue.
  • Miser sur la diversification des compétences : coopération entre médecins, infirmiers, pharmaciens, assistants médicaux, pour une prise en charge globale.

L’avenir se construira à l’échelle des bassins de vie, où coordonner l’ensemble des acteurs pour garantir, malgré la fragmentation géographique, un égal accès à la prévention et aux soins. Façonner une région où la santé ne serait plus conditionnée par le lieu de domicile reste un horizon concret, mobilisateur, et à la portée d’une coalition de volontés locales et collectives.

Sources principales : Atlas Démographique du CNOM ; Observatoire régional de la santé ARA ; DRESS ; ARS Auvergne-Rhône-Alpes ; INSEE 2024 ; IRDES ; Assurance Maladie ; INCa – Registres régionaux de dépistage.

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