Isolement social et inégalités de santé : un frein silencieux à l’équité en Auvergne-Rhône-Alpes

26 septembre 2025

L’isolement social est bien plus qu’une notion abstraite : il désigne l’état d’une personne insuffisamment entourée, ressentant un manque de contacts réguliers et de soutien. Selon l’Observatoire de la Fondation de France, 10 % des Français allaient, en 2022, jusqu’à se déclarer sans aucun réseau social significatif. En région Auvergne-Rhône-Alpes, la géographie même du territoire – alternance de grandes agglomérations et de zones rurales ou montagneuses – accentue des situations particulièrement aiguës.

Les répercussions sur la santé sont majeures : mourir plus tôt, développer davantage de maladies chroniques, accéder plus tardivement aux soins, voilà le triptyque sombre que dessinent de nombreuses études, dont celles menées par Santé publique France. Mais pourquoi et comment l’isolement social pèse-t-il à ce point sur la santé des habitants de la région ?

Il importe de distinguer :

  • L’isolement social objectif : absence ou raréfaction des contacts sociaux effectifs, mesurables (famille, amis, vie associative, etc.) ;
  • La solitude subjective : sentiment personnel de se sentir seul, qui peut exister même en présence de contacts réguliers.

Les deux dimensions interagissent, mais c’est souvent l’isolement objectif qui se traduit par les inégalités de santé les plus fortes (Drees, 2022).

L’isolement social n’est jamais la cause unique d’une mauvaise santé ; il en est cependant un facteur aggravant et accélérateur, en interaction avec de nombreux autres déterminants. En Auvergne-Rhône-Alpes, régionaliser le constat permet de cerner des disparités internes frappantes.

Un terrain propice : territoires fragilisés, populations vulnérables

  • Zones rurales et de montagne : La région recense 700 000 habitants en zone de montagne (Insee, 2019). L’éloignement géographique, la désertification médicale et la perte du tissu associatif majorent l’isolement des personnes âgées mais aussi, de plus en plus, des jeunes adultes. Par exemple, le Cantal compte un taux exceptionnel d’aînés vivant seuls (plus de 30 % des plus de 75 ans).
  • Quartiers urbains défavorisés : Les métropoles de Lyon, Grenoble et Saint-Étienne cumulent des poches de grande pauvreté où l’isolement se double souvent d’un non-recours aux droits et aux soins (Atlas régional ARS, 2023).
  • Personnes handicapées ou en situation de précarité extrême : L’isolement relationnel se conjugue à la stigmatisation ou à l’invisibilisation, conduisant à un véritable renoncement aux soins : selon la CPAM du Rhône, 45 % des personnes en rupture d’hébergement n’ont effectué aucune consultation médicale en 2022.

Documenté depuis plus de 30 ans, l’impact de la solitude sur la santé s’explique par différentes logiques complémentaires :

  1. Faible recours au soin préventif et curatif : Les personnes isolées consultent moins, réalisent moins les dépistages conseillés (mammographie, test colorectal, etc.). En Auvergne-Rhône-Alpes, le taux de mammographie de dépistage chez les femmes de plus de 50 ans vivant seules est de 10 points inférieur à la moyenne régionale (ARS, 2021).
  2. Aggravation des maladies chroniques : Le soutien social atténue la charge de maladies comme le diabète ou l’hypertension. Au contraire, l’isolement accroît le risque de complications : les diabétiques isolés développent plus de rétinopathies (étude SNIIRAM/Santé Publique France).
  3. Santé mentale en première ligne : Le risque de dépression est multiplié par 2,5 chez les personnes sans réseau social (Drees). En Isère, les Centres médico-psychologiques remarquent une surreprésentation des patients seuls parmi les hospitalisations en psychiatrie (+ 18 points versus patients en ménage).
  4. Diminution de l’espérance de vie : Les données du projet français « Three-City Study » indiquent que, parmi les plus de 65 ans, l’isolement social est associé à une surmortalité toutes causes de + 23 % en 7 ans.

Des mécanismes auto-entretenus

  • L’état de santé dégradé favorise l’isolement (retrait social dû à la fatigue, la dépendance, l’isolement géographique ou la précarité).
  • Cette spirale « isolement-maladie-isolement » concerne tout particulièrement certaines aires rurales du Puy-de-Dôme ou de la Haute-Loire où l’on observe un cumul de handicaps sociaux et sanitaires sans relais associatif fort.

Personnes âgées isolées : un enjeu majeur

En région, la part des plus de 75 ans vivant seuls atteint 28 % (Insee 2023). Or, les chutes non détectées, la dénutrition, les syndromes dépressifs restent fréquents et insuffisamment repérés. L’étude « Vieillir en Auvergne-Rhône-Alpes » menée par l’ORS RA en 2021 estime que dans certains territoires, près de 50 % des aînés isolés n’avaient pas vu de professionnel de santé depuis plus de 6 mois.

Jeunes adultes et isolement : un phénomène émergent

Si la solitude des personnes âgées attire l’attention, celle des jeunes est plus discrète mais en forte augmentation. Selon une enquête du Conseil régional des jeunes, 1 étudiant lyonnais sur 5 se dit « seul toute la semaine ». La crise sanitaire de la Covid-19 a aggravé un mal-être latent, associant isolement, difficultés financières et retards de soins psychologiques (Mutualité Française AURA, 2022).

  • Augmentation des tentatives de suicide : le CHU de Clermont-Ferrand a observé chez les moins de 25 ans une hausse de 18 % post-Covid.
  • Multiplication du recours aux consultations d’urgence psychiatrique pour « solitude insupportable ».

Familles monoparentales isolées : un risque sanitaire accru

En 2020, l’Insee chiffre à 22 % la part de familles monoparentales à très faibles ressources en AURA. Le sentiment d’isolement, chez les mères ou pères solos, se traduit par un moindre accès au suivi gynécologique, à la santé bucco-dentaire des enfants ou à la vaccination (OBERSERVATOIRE régional de la pauvreté).

Certaines actions locales cherchent à briser ce cercle vicieux :

  • Répit & rencontres en territoire rural : Le réseau Villages Solidaires (Savoie, Isère) organise des activités collectives destinées aux séniors isolés, ce qui réduit de près de 40 % l’absence totale de relations sociales (Rapport Villages Solidaires, 2023).
  • Points d’accès aux droits et santé : Dans les quartiers populaires de Grenoble, des permanences sociales et médicales « de proximité » ont permis de recréer du lien et d’augmenter de 12 % la réalisation des bilans de santé gratuits (CPAM Isère, 2022).
  • Étudiants ambassadeurs de prévention : À Clermont-Ferrand, le programme « Les Veilleurs » associe pairs-aidants étudiants et psychologues : 800 jeunes ont été « réseautés » en 2023, avec un effet mesuré sur la diminution du recours aux urgences psychiatriques.

Des pistes se dessinent :

  • Agir sur l’écosystème (mobilités, accès numérique, services publics de santé de proximité).
  • Former les soignants et les acteurs sociaux à la détection de l’isolement social au même titre que les pathologies chroniques.
  • Encourager l’engagement citoyen via des outils numériques ou de voisinage (groupes d’entraide, plateformes locales).
La stratégie nationale de prévention en santé mentale (2023-2027) met d’ailleurs l’accent sur cet axe dans ses recommandations spécifiques pour la région AURA.

L’isolement social, loin d’être un épiphénomène, s’impose comme un déterminant de santé à part entière. En Auvergne-Rhône-Alpes, la diversité des territoires et la pluralité des statuts sociaux révèlent l’effet loupe qu’il exerce sur les inégalités de santé. Les initiatives régionales impliquant collectivités, associations, professionnels de santé mais aussi habitants eux-mêmes montrent la voie : resserrer les mailles du tissu social est un levier concret, mesurable, et indissociable de toute politique de réduction des inégalités. Pour demain, la question n’est plus tant de constater les liens entre isolement et santé que de les reconnaître à leur juste importance dans les outils de pilotage territorial, la formation, et l’organisation du soin.

Source Donnée/clé
Insee, 2023 28 % des 75 ans et plus vivent seuls en Auvergne-Rhône-Alpes
Santé Publique France, 2022 Surmortalité de +23 % en 7 ans chez les aînés isolés
CPAM Rhône, 2022 45 % des sans-abris n’ont pas consulté de médecin dans l’année
ORS RA, 2021 50 % des aînés isolés sans contact médical semestriel dans certains territoires
Mutualité Française AURA, 2022 1 étudiant lyonnais sur 5 se dit isolé toute la semaine

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