Revenus et accès aux soins en Auvergne-Rhône-Alpes : la géographie des inégalités

12 septembre 2025

La région Auvergne-Rhône-Alpes (ARA) est souvent citée parmi les plus dynamiques sur le plan économique et démographique en France. Pourtant, derrière cette vitalité, la réalité sanitaire dessine une carte nettement contrastée, où le niveau de revenus influence indéniablement la capacité à accéder à des soins de qualité. Cette corrélation, déjà bien documentée à l’échelle nationale, revêt en ARA certaines spécificités méconnues. Explorons en profondeur les mécanismes, les chiffres, les disparités, et les pistes d’action régionales.

Avec près de 8 millions d’habitants, la région ARA regroupe à la fois des pôles urbains à haut revenu (Lyon, Annecy, Grenoble) et des territoires ruraux ou de montagne (Massif central, Cantal, Ardèche…) où le revenu médian net fiscal général tombe sous la barre des 20 000 € annuels dans certaines zones (INSEE, 2021). À titre de comparaison, la moyenne régionale dépasse 24 000 €. Les écarts internes entre le Rhône et le Cantal atteignent près de 8 000 €.

  • Près de 12 % de la population vit sous le seuil de pauvreté régional, jusqu’à 18 % dans certains départements du centre de la région (Source : INSEE, Observatoire régional de santé 2023).
  • Certains quartiers prioritaires d’agglomérations, comme La Duchère à Lyon, enregistrent des taux de précarité plus de deux fois supérieurs à la moyenne nationale.

Le revenu axe de multiples influences sur la santé. Il conditionne le recours aux soins, parfois dès l’accès à la prévention.

  • Renoncement aux soins pour raisons financières : Selon l’enquête du Baromètre santé 2022 (Santé publique France), dans la région, près de 18 % des ménages les plus modestes déclarent avoir renoncé à au moins un soin au cours de l’année, contre seulement 7 % chez les revenus les plus élevés. Ce renoncement touche d’abord les soins dentaires, l’optique, puis les consultations de spécialistes.
  • Problèmes d’accès à l’assurance complémentaire : 12 % des foyers les plus modestes n’ont pas de complémentaire santé, même après la généralisation de la complémentaire santé solidaire (DREES 2021).
  • Dépenses de santé restant à charge : Après remboursements, la part moyenne de dépenses restant à la charge des ménages modestes atteint 13 % de leur budget santé, contre 8 % pour les ménages aisés en ARA (ORS ARA 2023).

En ARA, la géographie même du territoire accentue les effets des inégalités de revenus sur l’accès aux soins :

  • Territoires sous-dotés en offre médicale: Le Massif central, la montagne ardéchoise ou le nord de l’Isère cumulent faible densité médicale, éloignement des centres hospitaliers et bas niveaux de revenus. Le délai moyen pour obtenir un rendez-vous chez un généraliste dépasse parfois 15 jours en zones rurales, contre moins de 48h dans les pôles urbains (Atlas régional ARS 2023).
  • Transports et mobilité sanitaire : Le coût du transport non pris en charge, la distance, et le manque de solutions de proximité poussent certains habitants précaires à différer ou annuler des soins programmés, notamment pour les soins spécialisés (DREES, 2022).

Exemple illustratif : la Loire et le Cantal

Le taux de recours au médecin généraliste dans le Cantal est inférieur de 20 % à la moyenne régionale, alors que l’état de santé global y est plus précaire (INSEE). Dans la Loire, à Firminy, une étude menée par le Centre communal d’action sociale (2022) montre que près d’un adulte sur quatre a différé des soins pour des raisons financières ou logistiques, phénomène accru dans les quartiers à faibles revenus.

La littérature médicale internationale met en avant l’effet direct du revenu sur l’état de santé via trois grands canaux :

  1. Recours différé ou absent à certains soins : Les ménages précaires attendent davantage pour consulter, aboutissant à la découverte plus tardive de pathologies chroniques (diabète, HTA, cancers). En ARA, le taux de dépistage du cancer colorectal est inférieur de 8 points parmi les 20 % de foyers les moins favorisés par rapport à la moyenne régionale (Santé Publique France).
  2. Prévention insuffisante : La couverture vaccinale grippe-hiver atteint 58 % chez les retraités aisés contre 35 % chez les bénéficiaires de minima sociaux dans la région.
  3. Accès difficile à l’innovation: Les traitements innovants ou les dispositifs médicaux avancés nécessitent parfois des restes à charge prohibitifs ou une anticipation administrative complexe, disproportionnée pour les foyers en difficulté sociale.

Si Lyon, Annecy et Grenoble offrent les parcours de soins les plus accessibles, des “déserts sanitaires” persistent dans l’Allier, le sud de la Drôme ou l’ouest de la Haute-Loire. Ces zones combinent :

  • Rareté des praticiens généralistes et spécialistes
  • Population vieillissante, plus vulnérable et souvent aux revenus modestes
  • Cumul d’indicateurs défavorables : échec scolaire, chômage, précarité énergétique — autant de facteurs aggravant la santé

Malgré les obstacles, des initiatives locales émergent pour compenser la double peine des territoires pauvres en soins et à bas revenus :

  • Maisons de santé pluriprofessionnelles rurales : création de structures mixtes rassemblant généralistes, paramédicaux et assistants sociaux formés à repérer la précarité sanitaire (cf. réseau Adessadomicile dans le Cantal). Cela réduit le renoncement aux soins de 15 à 18 % dans les bassins concernés (ARS ARA, 2023).
  • Camions médicaux itinérants : en Haute-Loire, un bus santé sillonne villages isolés pour proposer dépistages, consultations de première ligne, et accompagnement social (France 3 Régions, 2023).
  • Médiateurs santé bénévoles et Pôles de prévention : à Villeurbanne, le dispositif “Parcours santé précarité” a intégré des médiateurs issus des quartiers, facilitant l’accès aux droits, à l’information et à la prévention, doublant la fréquentation du centre de santé partenaire en deux ans (ORS ARA, 2023).
  • Expérimentations en télésanté : En Savoie, la télémédecine proposée par certains centres de santé communautaires atténue partiellement l’effet des distances, mais seulement auprès des publics ayant un accès numérique stable.

La causalité ne s’arrête pas au pouvoir d’achat. Faible revenu, faible niveau d’étude, précarité professionnelle et isolement social forment un écosystème défavorable au bon usage du système de soins, décrit dans le rapport de l’Observatoire des inégalités 2022. Les difficultés de compréhension du système de santé et la méfiance vis-à-vis des institutions pèsent aussi sur l’adhésion aux recommandations médicales, aggravant l’exclusion de faits et d’usages.

La santé mentale illustre cette intersection. Le rapport 2023 du CESER Auvergne-Rhône-Alpes note une prévalence accrue de troubles dépressifs — 20 % des adultes contre 13 % en moyenne nationale dans les quartiers en grande précarité. L’accès aux psychiatres y est plus difficile, les délais de rendez-vous dépassent 6 mois dans certaines zones, et les séances de suivi restent en partie à la charge du patient.

L’impact du revenu sur l’accès aux soins en Auvergne-Rhône-Alpes reste un sujet central de santé publique. L’aggravation des inégalités depuis la crise sanitaire et l’inflation récente, conjuguées aux “déserts médicaux”, rendent nécessaires des réponses structurelles : maillage de l’offre de proximité, amplification des dispositifs de médiation, prise en charge renforcée de la complémentaire santé, promotion de la télémédecine inclusive. Mais l’expérience des initiatives locales le montre : l’amélioration exige une coopération des acteurs sociaux, institutionnels et associatifs, et un effort continu pour identifier, évaluer et diffuser les pratiques ayant un impact concret sur la réduction de la fracture sanitaire régionale.

Sources principales : INSEE Auvergne-Rhône-Alpes 2021 ; Observatoire Régional de Santé ARA 2023 ; Santé publique France ; Rapport CESER ARA 2023 ; DREES 2022 ; ARS Auvergne-Rhône-Alpes.

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