Habiter en bonne santé : Comprendre l’impact du logement sur les inégalités sociales en Auvergne-Rhône-Alpes

23 septembre 2025

Parler de santé, c’est souvent évoquer l’accès aux soins, la prévention, les comportements individuels. Mais il est un facteur, tout aussi crucial, qui façonne la santé des habitants au quotidien : le logement. La région Auvergne-Rhône-Alpes, riche de sa diversité territoriale et sociale, offre un observatoire privilégié des liens profonds entre habitat et santé.

Le logement agit à plusieurs niveaux : il conditionne la sécurité, l’intimité, le confort, mais aussi l’exposition à certains risques qui, lorsqu’ils s’accumulent, pèsent sur l’état de santé, l’espérance de vie, la qualité de vie et la santé mentale. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) considère d’ailleurs le logement comme l’un des principaux déterminants sociaux de la santé (OMS).

La région Auvergne-Rhône-Alpes se distingue par des contrastes marqués. Elle concentre à la fois des zones urbaines dynamiques, des territoires ruraux, des villes moyennes en difficulté, des montagnes et des zones périurbaines. Selon l’Observatoire Régional de la Santé (ORS Auvergne-Rhône-Alpes), près de 400 000 habitants de la région vivent sous le seuil de pauvreté, un indicateur central pour comprendre le rapport au logement et son impact sur la santé.

  • Taux de pauvreté : 12% en région (INSEE, 2021), supérieur à la moyenne nationale dans certaines métropoles comme Saint-Étienne ou Vénissieux.
  • Surpeuplement : 8,8% des résidences principales considérées comme surpeuplées (INSEE), avec des pics dans certaines villes comme Grenoble, où il atteint 14% dans certains quartiers prioritaires.

À ces disparités sociales s’ajoutent des problématiques géographiques spécifiques : prégnance de la précarité énergétique en milieu rural ou montagnard, déséquilibres dans l’offre de logements et inégalités d’accès dans les zones touristiques (stations de ski, Savoie, Haute-Savoie), où la tension sur le logement social se fait particulièrement sentir.

Les liens entre conditions de logement dégradées et pathologies sont bien documentés. En région Auvergne-Rhône-Alpes, plusieurs indicateurs alertent :

  • Humidité et moisissures : Foyers d’asthme, allergies, affections ORL chroniques. Selon Santé Publique France, l’exposition chronique à l’humidité double quasiment le risque d’asthme chez l’enfant (Santé Publique France).
  • Plomb : Dans le Rhône, 47% des cas d’intoxication infantile au plomb sont repérés dans des logements anciens du centre-ville lyonnais (ARS ARA, 2020).
  • Précarité énergétique : En 2022, près de 606 000 ménages sont concernés par la précarité énergétique en Auvergne-Rhône-Alpes (ONPE), exposant les habitants au risque d’hypothermie, mais aussi aux pathologies cardiovasculaires ou respiratoires aggravées par le froid.
  • Insalubrité et infestation : Prolifération de punaises de lit, rongeurs, impactant sommeil, intégrité psychique et sociale. L’Agence Régionale de Santé (ARS ARA) répertorie en 2023 près de 3 000 signalements liés à l’hygiène de l’habitat.

Le mal-logement ne se limite pas à l’exposition à des agents nocifs : surpeuplement, promiscuité, défaut d’intimité ont des conséquences majeures sur la santé mentale et le développement des enfants. Les travailleurs sociaux des quartiers populaires de Clermont-Ferrand ou Annecy soulignent fréquemment la difficulté pour des jeunes d’étudier ou de se reposer dans des logements surencombrés.

Habitat, isolement et santé psychique

En périphérie des grandes villes ou dans certains territoires de montagne (Cantal, Ardèche), l’isolement résidentiel aggrave la vulnérabilité psychique. Plus d’un tiers des ménages isolés en milieu rural déclare souffrir de solitude, selon l’INSEE. Or, cette solitude expose à des risques de dépression, de troubles anxieux, mais aussi à une moindre capacité à activer les recours sociaux ou médicaux.

Occupation précaire et santé des publics fragiles

Les personnes sans domicile fixe (SDF), migrants, jeunes majeurs sortant de l’aide sociale à l’enfance ou femmes victimes de violences conjugales se retrouvent fréquemment en situation de logement d’urgence ou d’hébergement précaire, avec de forts impacts sanitaires :

  • Non-suivi des pathologies chroniques (diabète, hypertension, troubles psychiatriques).
  • Surmortalité chez les SDF : l’ORS ARA estime, selon une compilation des données des Samus sociaux (2022), un âge moyen de décès des personnes à la rue inférieur de près de 30 ans à celui de la population générale.

Le lien entre sortie d’hébergement collectif (suite à un placement à l’hôtel, en foyer social) et rupture de parcours de soins est également mis en évidence, notamment lors de la trêve hivernale.

Du saturnisme infantil au retard scolaire, la littérature confirme que le logement conditionne la santé et l’avenir des plus jeunes. En Auvergne-Rhône-Alpes :

  • Selon la CAF et les missions locales, jusqu’à 30% des jeunes en insertion déclarent un problème de logement comme principal frein à l’accès à la formation ou à l’emploi.
  • Les consultations PMI du Rhône font état d’un taux de consultations pour sommeil perturbé ou troubles des apprentissages synonymes de mal-logement dans 15% des cas suivis à Villeurbanne, Vaulx-en-Velin ou Grenoble.

Le sujet de la précarité énergétique prend une acuité particulière en Auvergne-Rhône-Alpes en raison de sa géographie contrastée. Les zones rurales, montagneuses ou de moyenne montagne (Puy-de-Dôme, Savoie, Haute-Loire) se caractérisent par un bâti ancien, souvent mal isolé, exposant les habitants à :

  1. Des températures extrêmes en hiver, avec surchauffe en été (effet d’îlot thermique, particulièrement en vallée du Rhône).
  2. Factures d’énergie lourdes : en moyenne, 12,4% du revenu des ménages précaires consacrés à l’énergie domestique, contre 7,5% au niveau national (ONPE, 2023).
  3. Renoncements : retards de paiement d’énergie, baisse du chauffage, aggravation de l’insalubrité, recours plus élevé aux aides d’urgence (Fonds de solidarité logement, Secours Catholique…)

L’impact est d’autant plus marqué pour les personnes âgées : en 2022, la Mutualité française relève une surmortalité par pathologies respiratoires et cardiovasculaires lors de vagues de froid, touchant prioritairement les seniors logés dans des habitats énergivores et isolés.

Dispositifs publics : entre avancées et limites

La politique publique du logement, très investie sur la rénovation énergétique (plan France Rénov', aide MaPrimeRénov'), peine à toucher certains publics précaires ou les propriétaires de logements anciens en zone rurale. Pourtant, la région bénéficie de soutiens spécifiques, comme l’OPAH-RU (Opérations Programmées d'Amélioration de l’Habitat en renouvellement urbain) ou d’actions portées par l’ANAH (Agence nationale de l’habitat).

  • D’après l’ARS, moins de 15% des logements prioritaires à rénover énergétiquement dans la région l’ont été entre 2017 et 2022.
  • Le délai moyen d’obtention d’un logement social peut, selon le DREAL, dépasser 29 mois dans certaines agglomérations comme Lyon ou Annecy.

Initiatives associatives et acteurs du terrain

De nombreux acteurs locaux innovent pour améliorer la santé via le logement :

  • La Fondation Abbé Pierre : Rapport régional 2024 sur l’état du mal-logement, forte action dans la rénovation de logements indignes, soutien juridique aux locataires.
  • Hospices Civils de Lyon – Mission “Un chez soi d’abord” : Dispositif de logement accompagné pour les personnes souffrant de troubles psychiques sévères, combinant prise en charge médicale et logement de droit commun.
  • Collectifs citoyens (comme à Bourg-en-Bresse ou Valence) : Initiatives de colocation intergénérationnelle ou de maisons partagées pour seniors isolés.

Ces actions, si elles montrent la voie, appellent à une généralisation : le passage à l’échelle reste un défi majeur malgré la mobilisation, faute de moyens ou d’une coordination systémique.

L’Auvergne-Rhône-Alpes, laboratoire de toutes les fractures, mais aussi des solutions, interpelle sur l’urgence d’agir au croisement du logement et de la santé. Si des dynamiques existent – amélioration du parc social, innovations pour le logement des publics vulnérables, mobilisation de nouveaux outils de financement –, beaucoup reste à faire :

  • Accroître la rénovation énergétique et lutter contre la précarité énergétique par une approche territoriale fine.
  • Renforcer les actions de prévention et d’accompagnement, en s’appuyant sur les acteurs de proximité (centres sociaux, PMI, associations d’usagers).
  • Favoriser la coordination santé-logement, notamment pour les publics en rupture de parcours ou cumulant précarité et problèmes de santé.
  • Mieux intégrer les enjeux de santé mentale et de bien-être dans les politiques de l’habitat.

Rendre visibles les déterminants du logement et leur impact sur la santé n’est pas qu’un enjeu technique ou budgétaire : c’est inscrire l’exigence d’un habitat digne au cœur de la réduction des inégalités sociales de santé. C’est aussi, pour les professionnels de santé et les acteurs locaux, reconnaître le logement comme un levier prioritaire à actionner collectivement, pour une région réellement inclusive et protectrice de la santé de tous ses habitants.

En savoir plus à ce sujet :