Parler de santé, c’est souvent évoquer l’accès aux soins, la prévention, les comportements individuels. Mais il est un facteur, tout aussi crucial, qui façonne la santé des habitants au quotidien : le logement. La région Auvergne-Rhône-Alpes, riche de sa diversité territoriale et sociale, offre un observatoire privilégié des liens profonds entre habitat et santé.
Le logement agit à plusieurs niveaux : il conditionne la sécurité, l’intimité, le confort, mais aussi l’exposition à certains risques qui, lorsqu’ils s’accumulent, pèsent sur l’état de santé, l’espérance de vie, la qualité de vie et la santé mentale. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) considère d’ailleurs le logement comme l’un des principaux déterminants sociaux de la santé (OMS).
La région Auvergne-Rhône-Alpes se distingue par des contrastes marqués. Elle concentre à la fois des zones urbaines dynamiques, des territoires ruraux, des villes moyennes en difficulté, des montagnes et des zones périurbaines. Selon l’Observatoire Régional de la Santé (ORS Auvergne-Rhône-Alpes), près de 400 000 habitants de la région vivent sous le seuil de pauvreté, un indicateur central pour comprendre le rapport au logement et son impact sur la santé.
À ces disparités sociales s’ajoutent des problématiques géographiques spécifiques : prégnance de la précarité énergétique en milieu rural ou montagnard, déséquilibres dans l’offre de logements et inégalités d’accès dans les zones touristiques (stations de ski, Savoie, Haute-Savoie), où la tension sur le logement social se fait particulièrement sentir.
Les liens entre conditions de logement dégradées et pathologies sont bien documentés. En région Auvergne-Rhône-Alpes, plusieurs indicateurs alertent :
Le mal-logement ne se limite pas à l’exposition à des agents nocifs : surpeuplement, promiscuité, défaut d’intimité ont des conséquences majeures sur la santé mentale et le développement des enfants. Les travailleurs sociaux des quartiers populaires de Clermont-Ferrand ou Annecy soulignent fréquemment la difficulté pour des jeunes d’étudier ou de se reposer dans des logements surencombrés.
En périphérie des grandes villes ou dans certains territoires de montagne (Cantal, Ardèche), l’isolement résidentiel aggrave la vulnérabilité psychique. Plus d’un tiers des ménages isolés en milieu rural déclare souffrir de solitude, selon l’INSEE. Or, cette solitude expose à des risques de dépression, de troubles anxieux, mais aussi à une moindre capacité à activer les recours sociaux ou médicaux.
Les personnes sans domicile fixe (SDF), migrants, jeunes majeurs sortant de l’aide sociale à l’enfance ou femmes victimes de violences conjugales se retrouvent fréquemment en situation de logement d’urgence ou d’hébergement précaire, avec de forts impacts sanitaires :
Le lien entre sortie d’hébergement collectif (suite à un placement à l’hôtel, en foyer social) et rupture de parcours de soins est également mis en évidence, notamment lors de la trêve hivernale.
Du saturnisme infantil au retard scolaire, la littérature confirme que le logement conditionne la santé et l’avenir des plus jeunes. En Auvergne-Rhône-Alpes :
Le sujet de la précarité énergétique prend une acuité particulière en Auvergne-Rhône-Alpes en raison de sa géographie contrastée. Les zones rurales, montagneuses ou de moyenne montagne (Puy-de-Dôme, Savoie, Haute-Loire) se caractérisent par un bâti ancien, souvent mal isolé, exposant les habitants à :
L’impact est d’autant plus marqué pour les personnes âgées : en 2022, la Mutualité française relève une surmortalité par pathologies respiratoires et cardiovasculaires lors de vagues de froid, touchant prioritairement les seniors logés dans des habitats énergivores et isolés.
La politique publique du logement, très investie sur la rénovation énergétique (plan France Rénov', aide MaPrimeRénov'), peine à toucher certains publics précaires ou les propriétaires de logements anciens en zone rurale. Pourtant, la région bénéficie de soutiens spécifiques, comme l’OPAH-RU (Opérations Programmées d'Amélioration de l’Habitat en renouvellement urbain) ou d’actions portées par l’ANAH (Agence nationale de l’habitat).
De nombreux acteurs locaux innovent pour améliorer la santé via le logement :
Ces actions, si elles montrent la voie, appellent à une généralisation : le passage à l’échelle reste un défi majeur malgré la mobilisation, faute de moyens ou d’une coordination systémique.
L’Auvergne-Rhône-Alpes, laboratoire de toutes les fractures, mais aussi des solutions, interpelle sur l’urgence d’agir au croisement du logement et de la santé. Si des dynamiques existent – amélioration du parc social, innovations pour le logement des publics vulnérables, mobilisation de nouveaux outils de financement –, beaucoup reste à faire :
Rendre visibles les déterminants du logement et leur impact sur la santé n’est pas qu’un enjeu technique ou budgétaire : c’est inscrire l’exigence d’un habitat digne au cœur de la réduction des inégalités sociales de santé. C’est aussi, pour les professionnels de santé et les acteurs locaux, reconnaître le logement comme un levier prioritaire à actionner collectivement, pour une région réellement inclusive et protectrice de la santé de tous ses habitants.